Oups, la secousse
Ce premier article de blogue arrive malgré lui à un moment critique de notre histoire collective, où notre monde, affligeant et souvent carnassier, a basculé sans crier gare. Nous pressentions une cassure possible du système capitaliste et l’autodestruction progressive de notre existence planétaire, mais sans encore savoir quelle forme elle prendrait. Nous réévaluons maintenant nos priorités, alors qu’il n’y a pas si longtemps, on s’énervait le poil des jambes à propos d’un coton ouaté. Mais le pire des virus, c’est la peur. Dont l’insécurité alimentaire exprimée par ces achats compulsifs d’un deuxième réfrigérateur, au cas où… Alors qu’encore récemment notre société de surabondance jetait insouciamment ses choux gras, on craint maintenant de manquer de nourriture.
OK, prendre acte et faire face
La pandémie actuelle ne fait que pousser sur l’urgence de faire davantage appel à nos ressources créatives pour imaginer la suite des choses. Il ne peut être question de retourner au même cycle de production-consommation qui a mené au débalancement sévère de notre planète. Point de bascule crucial, malgré ce que ces perturbations apportent en tant que pertes encourues, détresse sociale, incertitude affectant les populations les plus vulnérables… Alors que chaque jour apporte son lot de bouleversements, comment se maintenir en équilibre sur le fil fragile de la vie – en acceptant qu’elle a pour nature d’être composée d’incertitudes et de précarités ?
Arrêt tout le monde !
Malgré la gravité du moment, le vacillement, il importe de prendre ce temps au ralenti qui nous est accordé, de force, pour imaginer hors de nos repères habituels. S’en créer de nouveaux ou ne plus en avoir du tout. Une période de pause à vivre dans l’incubation de manières de vivre ensemble. La santé n’est pas qu’harmonie entre corps et esprit, mais aussi avec sa communauté et son environnement. Je ne pense pas que l’humain changera du tout au tout, il aura toujours une part de cupidité et de soif de pouvoir ingrate, mais peut-on essayer de contribuer à envisager des perspectives plus dignes de notre humanité ? Allons-nous découvrir que nous pouvons très bien vivre sans consommer autant de produits? Découvrir, parce que nous en sommes privés, à quel point les liens humains sont essentiels à notre survie ?
Le temps nécessaire de l’art
Que propose-t-on ces temps-ci pour combler le confinement collectif? Des concerts et des films en ligne, des livres numériques, des spectacles sur des balcons, des textes quotidiens… Sans l’art, on dirait que nous ne saurions que faire de notre temps enfermé. Faut-il une crise pour en réaliser l’importance ?
Mais l’art peut aussi contribuer à imaginer des solutions qui n’existent pas encore. Le moment est opportun, plus que jamais, de sortir la plume, la caméra… pour imaginer une danse folle parmi les décombres qui commencent à s’empiler. Pour défaire les certitudes. Comme artiste, je propose d’imaginer un univers transformé dans lequel je me baignerais volontiers. Il ne s’agira pas de solutions concrètes et pratiques, mais de ma manière facétieuse d’élucubrer une manière de renverser le regard, tasser les forêts et gambader sur les vagues.
Se positionner sur l’horizon indocile
Malgré la rapidité fulgurante et déstabilisante des changements actuels, cet espace-temps particulier nous offre l’occasion de regarder l’horizon devant nous, même si nébuleux encore. Voir venir, se positionner sur la ligne d’un imaginaire aventureux, sans peur de tomber. Agrippée à ce fil tangible qui réunit le souterrain à l’aérien. À travers un corps vigilant, qui s’inscrit lui-même dans le paysage et éprouve à travers ses fibres les secousses du monde.
Fusionner avec l’horizon, c’est adopter un regard dépouillé des ornières creusées avec le temps. Voilà ce que l’art peut apporter de précieux : se décoller de la réalité cruelle, décrocher des catastrophes et ouvrir les vannes pour qu’en retour se déclenchent des idées de solutions concrètes. Ajouter du rire coloré dans l’aridité actuelle des statistiques. Contrer la peur par des rigodons audacieux, ne serait-ce que le temps d’une rêverie.
Malgré mes doutes, je me positionne sur cette ligne, par un matin clair et vibrant, et je pars, d’un côté comme de l’autre, à la recherche d’attitudes pour alléger notre tourment face aux chiffres-catastrophes et aux nouvelles bouleversantes. Je nous imagine tous et toutes avançant sur cet horizon (à 2 mètres de distance !), en file pour essayer de découvrir où ce fil peut nous mener en tirant dessus à pleines mains.
L’horizon qui cache derrière sa minceur
des trésors infinis de patience légendaire
qui arrive avec ses provisions de noirceur
un tranchant entre les éléments qui voudraient nous confondre
Je me place dans ce paysage, j’écris, je danse, je regarde, je capte, je capote, voici la position intrépide dans laquelle je me place pour les prochains articles de ce blogue.
Pour élargir l’horizon de nos aspirations.
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Comme p’tit bonus, ces extraits du poème Il existe pourtant… de Marie Uguay qui sait si bien dire la place des fruits de l’art malgré l’urgence des enjeux sociaux
Il existe pourtant des pommes et des oranges
Cézanne tenant d’une seule main
toute l’amplitude féconde de la terre
la belle vigueur des fruits
[…]
Mais des hôpitaux n’en finissent plus
des usines n’en finissent plus
des files d’attente dans le gel n’en finissent plus
des plages tournées en marécages n’en finissent plus
[…]
Pourtant malgré les rides multipliées du monde
malgré les exils multipliés
les blessures répétées
dans l’aveuglement des pierres
je piège encore le son des vagues
la paix des oranges